Sainte-Catherine ressuscitée
Au cœur de Liège, le Martyre de Sainte-Catherine (ses prières, la roue de son supplice, l’épée qui la décapita…) retrouve son lustre d’antan grâce au soutien du Fonds David-Constant, géré par la Fondation Roi Baudouin. Récit d’un sauvetage mené in extremis par des mains artisanes.
Scratch, scratch, scratch... Dans l’église baroque Saint-Antoine/Sainte-Catherine de Liège, un curieux bruit de grattement se fait entendre au ras du sol en ce début d’été 2020. Une équipe de restauratrices d’œuvres d’art munies chacune d'une paire de gants et d'un petit scalpel sont à l’œuvre au ras du sol. L’ouvrage sur laquelle elles s’affairent n’est autre qu’une toile de plus de 20 m², à la surface de laquelle elles ne se déplacent qu’au moyen d’un pont roulant et de coussins en mousse, à des fins de protection.
Cet ouvrage qui fait l’objet du plus grand soin est celui du Martyre de Sainte-Catherine, une œuvre monumentale de 6,30 mètres sur 3,40 mètres, probablement la plus grande de Théodore-Edmond Plumier, l’un des plus prestigieux peintres baroques de la fin du XVIIe et du début du XVIIIe siècles. L’un des plus doués de l’École liégeoise, aussi, connu pour sa maîtrise des portraits et des sujets religieux et dont les œuvres ornent depuis trois siècles plusieurs édifices et musées de la ville.
Un soutien salvateur
Assises, à quatre pattes ou couchées sur le ventre sous la lumière intense diffusée par une batterie de projecteurs, les cinq restauratrices grattent patiemment la couche de colle utilisée il y a plus d’un siècle, lors d’une restauration précédente. Cette poussière noire est aussitôt évacuée par des aspirateurs industriels. Lorsqu’il sera complètement mis à nu, le revers de l’œuvre, bardé de petits collants assurant des sutures provisoires, pourra alors être solidarisé à une nouvelle toile de soutien qui garantira la solidité de l’ensemble. Une étape parmi d’autres d’un processus entamé fin 2019 et qui, au total, s’étalera sur trois ans au prix d’un chantier de quelque 100.000 euros intégralement pris en charge par le Fonds David-Constant, géré par la Fondation Roi Baudouin.
Le Fonds vit le jour en 2003 à l’initiative de la baronne Jean Constant, née Simone David et épouse de Jean Constant. Le couple partageait la passion du droit : Monsieur fut fondateur de l’École liégeoise de criminologie et procureur général de Liège, Madame fut elle aussi professeure à la faculté de Droit de l’Université de Liège, puis doyenne. Très attachés à leur région, ils étaient aussi tous deux férus d’art et de culture. Sans descendance, Madame David s’adressa là la Fondation Roi Baudouin quand vint le moment de réfléchir à l’affectation de son patrimoine à des causes qui lui étaient chères. Elle décida par disposition testamentaire de créer un Fonds, qu’elle dénomma Fonds David-Constant, dont l’objectif serait de contribuer au rayonnement de la faculté de Droit de l’ULg, à l’aide aux enfants défavorisés et… à la préservation et la valorisation du patrimoine liégeois.
En contribuant à la restauration du Martyre de Sainte-Catherine, le Fonds agit conformément aux volontés du couple. Car cette toile ne constitue pas seulement l’œuvre maîtresse de la carrière de Théodore-Edmond Plumier. Elle est également restée pendant plus de trois siècles dans son lieu d’origine, l’église Saint-Antoine/Sainte-Catherine. Cet édifice du XIIe siècle a pour particularité de ne pas avoir été érigé sur une place ou sur un promontoire, mais bien d’avoir été étroitement encastré dans son quartier, maçonné à d’autres bâtiments, et d’être à peine visible dans une discrète ruelle de Liège (la rue en Neuvice), un peu à la façon des églises baroques italiennes. Sa façade et son orgue ont été précédemment classés et restaurés, l’intérieur de l’église est en cours de classement et la toile de Plumier est depuis peu répertoriée comme Trésor de la Fédération Wallonie-Bruxelles. C’est donc l’ensemble du site qui retrouvera bientôt sa pleine cohérence baroque. Et cela, pour le plus grand bonheur des Liégeois qui, depuis le début du chantier, ont régulièrement l’occasion de discuter avec les restauratrices des étapes et subtilités de leur travail.
Un effondrement dramatique
Mais la toile revient de loin : en 2018, emportée par son propre poids, l’œuvre, ornant le maître-autel du chœur, se détache de son châssis et, en s’effondrant, se déchire en de nombreux endroits : près de dix mètres au total. Dès sa mise à plat, elle surprend les observateurs : elle est faite d’une seule toile, sans une seule couture, le métier à tisser d’origine devait donc être énorme ! À peine les premiers essais de nettoyage entrepris, nouvelle surprise : le visage de Sainte Catherine, au centre de l’œuvre, est resté intact, les angelots réapparaissent et c’est toute la flamboyance des couleurs et la nuance des drapés qui retrouvent leur vie d’antan.
"La toile était tellement noircie qu’on n’arrivait plus à saisir la composition", explique Audrey Jeghers, coordinatrice du chantier. "Jauni par le temps, l’ancien vernis avait transformé les tons bleus en verdâtre, et les détails d’architecture étaient quasiment devenus invisibles. Ce moment de redécouverte du sujet et des couleurs est évidemment magique car, en général, nous restons concentrées le nez sur l’œuvre, toute notre attention étant requise par sa matérialité, le choix des produits à utiliser, la précision des gestes, etc.".
À ce stade, bien que délicat, le chantier s’est déroulé sans le moindre heurt notable. Sa complexité tient au caractère monumental de l’œuvre de Plumier : à chaque manipulation, sept à huit personnes sont nécessaires, ce qui fait de cette restauration un travail d’équipe assez inhabituel et très plaisant, de l’avis de ses protagonistes. "Si le dévernissage a été l’étape la plus spectaculaire, celle du doublage de la toile sera la plus délicate car elle devra se concentrer sur une seule journée", prévoit néanmoins Kerstin Stickelmann, l’autre cheville ouvrière du projet.
Autre complexité : veiller à la réversibilité des opérations effectuées. Personne ne sait au juste comment réagiront à long terme les produits synthétiques utilisés aujourd’hui, qu’il s’agisse des vernis protecteurs utilisés pour redonner de la profondeur aux couleurs ou des retouches de couleurs elles-mêmes, soit l’avant dernière étape avant la remise en place dans le maître-autel. Celui-ci, aujourd’hui, n’est plus qu’un grand vide noir derrière l’autel, un peu sinistre malgré la lumière qui inonde l’église dès que le soleil est de la partie. Plus que deux ans d’attente, et l’œuvre ressuscitée retrouvera sa place, pour le plus grand bonheur des visiteurs.
À propos du Fonds David-Constant
Créé en 2003 au sein de la Fondation Roi Baudouin, le Fonds David-Constant apporte chaque année un soutien de 450.000 euros à des projets qui ont pour but de protéger et valoriser le patrimoine liégeois, de promouvoir la recherche et les études de droit à l’ULg, et d’aider les enfants défavorisés en région liégeoise.
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