Assez parlé, essayez plutôt d’écouter !
Plaidoyer pour rallier les citoyens vulnérables à la cause climatique. Cette carte blanche de Brieuc Van Damme, CEO de la Fondation Roi Baudouin, fait l’objet d’une publication dans La Libre Belgique du lundi 11 décembre 2023.
À la COP28, les dirigeants débattent d'un avenir ‘zéro carbone’. Mais ils redoutent que les électeurs, empêtrés dans une conjoncture économique morose, n’y adhèrent pas. Et pourtant, ils pourraient rallier les citoyens vulnérables à leur cause et atteindre les objectifs climatiques, s'ils prenaient le temps de les écouter.
Les Pays-Bas ont vu les climato-sceptiques remporter les élections. En Allemagne, l'interdiction des chaudières à gaz et à mazout fait chuter la cote de popularité du gouvernement. De son côté, Downing Street s'engage à défendre les automobilistes qui roulent à l'essence. À l’ouverture de la COP28 à Dubaï, six mois avant les élections européennes, la rébellion populaire et populiste contre les ambitions écologiques jugées “élitistes” ravivent les souvenirs d'il y a cinq ans, lorsque les “gilets jaunes” français sont descendus dans la rue, forçant le président Macron à renoncer à une augmentation de la taxe sur les carburants.
Ces protestations ont incité un consortium de fondations européennes à se pencher sur ces questions : comment concevoir une transition verte qui ne laisse personne de côté ? Comment assurer l'adhésion des personnes qui risquent de souffrir le plus des conséquences du changement climatique, mais qui disposent du moins de moyens pour adapter leur mode de vie ou faire face à des coûts supplémentaires ?
La Fondation Roi Baudouin et ses partenaires européens ont entrepris un exercice inédit d’écoute du terrain, dans le cadre du projet ‘Fair Energy Transition for All’ (FETA). Nous avons d’abord démontré que – contrairement à ce que pensent certains politiciens – il existe peu de climato-sceptiques parmi les citoyens les plus démunis. En prenant le temps et en faisant l’effort de les écouter, nous avons également constaté qu’il est possible de développer des politiques non seulement bénéfiques pour la planète, mais également capable de “guérir” nos sociétés divisées, en proie aux inégalités.
Nous pouvons transcender cette polarisation apparente entre une “élite” prônant des idées vertes et un “peuple” souvent décrit comme récalcitrant. Il est possible d’amorcer une transition climatique véritablement collaborative, en faisant des plus vulnérables de la société des acteurs et des partenaires d'un changement qui leur soit réellement bénéfique.
S’affranchir des idées reçues
Sonder les opinions de celles et ceux qui se sentent exclus requiert un certain degré de créativité et d'investissement, en temps et en ressources – un défi pour les pouvoirs publics, qui peinent souvent à saisir les aspirations des citoyens. De 2020 à 2022, nous avons organisé, dans le cadre du projet FETA, des groupes de discussion sur la réduction des émissions en lien avec le logement et le transport. Ces discussions ont rassemblé 1.000 personnes vivant dans la précarité dans neuf pays de l'UE. Nous nous sommes affranchis des idées reçues et avons dépassé les opinions collectives influencées par certains groupes, pour écouter directement ces citoyens qui ne se sentent pas entendus et qui s’estiment laissés pour compte. Cette approche a démontré que leurs préoccupations, ainsi que leurs idées constructives, sont diverses, originales et porteuses de solutions.
Il faut de la patience pour aller à la rencontre de ces personnes sans emploi, mal logées, âgées ou en mauvaise santé, ainsi que des parents isolés, que ce soit dans des grandes métropoles ou des petits villages. Forger une opinion sur des questions complexes nécessite de fournir des explications claires, étayées par des exemples concrets, tout en établissant une relation de confiance avec des personnes qui ont développé une méfiance à l’égard de ceux qui prétendent parler en leur nom. Se réunir dans des endroits familiers, partager des repas, inclure les familles, offrir des réductions, des remboursement de frais de déplacement et de garde d'enfants, ainsi que d'autres compensations pour leur temps et leur engagement : voilà autant d'outils utiles pour inciter les gens à s'exprimer.
Un enthousiasme croissant
Ce projet a mis en lumière un constat majeur : si le changement climatique et les efforts pour le contrer représentent de sérieux défis pour les citoyens dont les moyens sont limités – que ce soit pour chauffer (et climatiser) des biens locatifs souvent mal entretenus, ou pour nourrir leur famille – ces mêmes citoyens manifestent aussi une réelle volonté de contribuer à l’effort collectif. “Les économies d'énergie sont une bonne chose”, ont souvent entendu les chercheurs du projet FETA. “Mais je ne veux pas imposer de restrictions à mes enfants en cuisinant moins, ou en les obligeant à prendre une douche froide.”
Il apparait tout aussi évident que la société est déjà empreinte d’injustices et que les coûts du changement devraient être assumés par les gouvernements et les acteurs qui portent une plus grande responsabilité dans la problématique. Un participant nous a dit : “Les pauvres sont de meilleurs défenseurs du climat que les riches, car ils ne peuvent pas se permettre d'acheter beaucoup de choses”. Un autre a déclaré : “Tout le monde devrait participer, mais ceux qui ont les épaules plus larges devraient supporter davantage.”
Être traité de manière condescendante est en outre particulièrement mal perçu. Ainsi, un petit agriculteur espagnol a rétorqué de manière cinglante “On ne peut pas faire avancer un tracteur avec des pédales” à des citadins qui avaient troqué leur SUV contre un deux-roues.
Prêter une oreille attentive aux laissés pour compte de l’Europe a donné de la crédibilité aux recommandations politiques élaborées dans le cadre des “forums citoyens” du projet FETA. Nous sommes ravis de constater que la Commission et les gouvernements nationaux prennent nos idées en considération. La Belgique a ainsi mis la “transition inclusive” au cœur de sa présidence du Conseil de l’UE.
Nos facilitateurs ont observé un enthousiasme croissant tout au long du processus. L’un deux a souligné : “Le simple fait qu’on leur demande leur avis – et que cet avis soit noté et transmis aux autorités – revêt une grande importance aux yeux des citoyens. Nous avons entendu à plusieurs reprises ‘Il se passe enfin vraiment quelque chose’” dans les groupes de discussion.
Le projet FETA a engendré des propositions aussi variées que ses participants. Ces propositions vont de l'isolation obligatoire des bâtiments, aux frais des propriétaires, ainsi qu’à la gratuité des transports en bus, des prêts avantageux pour l’installation de pompes à chaleur ou l’acquisition de véhicules plus verts. Les coopératives énergétiques locales suscitent également un vif intérêt, de même que la réduction de l'empreinte carbone des limousines et des jets privés.
Aux dirigeants mondiaux présents à la COP28, à celles et ceux qui se présentent aux élections en s’opposant aux listes climato-sceptiques pour obtenir un siège à Strasbourg, les Européens vulnérables vous adressent ce message : nous nous inquiétons pour l’avenir de notre planète et nous sommes prêts à soutenir des dirigeants qui saisissent l'opportunité qu'offre aujourd'hui la transition verte pour rendre nos sociétés plus inclusives et plus justes, pour tout le monde.