Forbidden Colours : un espace sûr pour tous
Lukas Dhont fait entendre sa voix à travers le monde, en atteste sa nomination aux Oscars cette année pour Close, son deuxième long métrage. Avec ses récits intimes sur la jeunesse et l'identité sexuelle, dont les thèmes universels touchent un public mondial, les films du réalisateur belge de 32 ans parlent pour lui. Mais cela ne l’empêche pas de prendre le temps de s’exprimer en faveur de Forbidden Colours, dont la mission, soutenue par la FRB, consiste à promouvoir les droits de l'homme et la démocratie pour les personnes LGBTQIA+ dans toute l'Europe.
Lukas, qu’est-ce qui vous a attiré chez Forbidden Colours, ce Fonds de la Fondation Roi Baudouin créé il y a trois ans à Bruxelles ?
Ce qui est vraiment magnifique, c’est que ce Fonds entend héberger toutes ces initiatives à travers le monde qui tentent de protéger, de revendiquer, d’accueillir et de dynamiser les actions autour des droits des personnes LGBTQIA+. Et ce qui est particulièrement intéressant, c’est que l’origine et la sexualité de chacun n’ont pas vraiment d’importance. Qu’il s’agisse d’éducation aux droits des queers, d’aide aux personnes ayant fui leur foyer, que l’organisation soit petite ou grande, ce lieu accueille tous ces types d’initiatives.
Il a été créé par des personnes qui s’estiment très chanceuses de vivre dans un pays qui offre un cadre sécurisé, certes malgré certaines réminiscences homophobes occasionnelles. Ces personnes ont décidé de jeter des ponts vers ceux qui ne se sentent pas en sécurité, qui aspirent à ce que nous soyons tous considérés comme égaux, qui que nous aimions, d’où que nous venions, quel que soit notre sexe ou notre identité sexuelle. Et à mes yeux, c’est ce qui est vraiment beau et sans conteste la raison majeure pour laquelle j’ai accepté de m’y associer.
Y a-t-il un fil conducteur entre votre travail artistique et votre participation à l’engagement politique de Forbidden Colours ?
Alors que je faisais la promotion de Close, je me suis, à un certain moment, permis de dire : « c’est politique ». Or, c’est quelque chose que je n’avais jamais osé exprimer auparavant. Le film commence dans l’obscurité, avec ce phrasé propre aux soldats et aux ennemis, qui véhicule un certain type de masculinité. Puis ces hommes sortent de la pénombre et courent vers un champ de fleurs. Selon moi, cette contradiction a quelque chose de politique, en soi. Je ne pense pas que le film insiste ouvertement sur ce point, mais je considère que notre travail est peut-être un peu plus politique aujourd’hui. C’est quelque chose que je trouve de plus en plus important au fil de ma carrière.
Avant, je disais simplement que je voulais montrer les gens aux gens, de la manière la plus tendre et la plus douce qui soit, dans l’espoir de changer le regard des uns et des autres. Je suis convaincu que nous sommes nombreux à partager des expériences, à grandir, à devoir renoncer à certaines amitiés, à nous débattre avec notre ressenti, l’identité que nous voulons incarner, la manière dont nous voulons faire notre place. J’ai toujours ressenti ce désir primaire d’utiliser ces éléments comme un moyen de faire le lien entre les gens. Je pense que cela vient du fait que lorsque j’étais plus jeune, je me sentais moi-même très déconnecté du monde. Cela est lié au fait que les normes relatives au genre et à la sexualité ont défini beaucoup d’entre nous, pas seulement les personnes LGBTQIA+, mais tout le monde. Chez Forbidden Colours, j’observe ce même désir de veiller à créer un espace où les gens ne sont pas exclus, où ce n’est pas « nous contre eux », mais « ce qui nous lie les uns aux autres ». Et je pense qu’en tant que cinéaste, et ce peut-être davantage aujourd’hui qu’il y a huit ans, je considère que le cinéma – au travers de la tendresse, de la douceur, de l’aspect personnel – peut aussi avoir ce pouvoir politique.
Vos films vous ont ouvert des portes dans le monde entier. Au cours de vos voyages, avez-vous constaté que le monde s’ouvrait clairement à l’égalité ?
Oui, les jeunes sont mus par de nouvelles énergies, en ce sens qu’ils font preuve d’énormément d’ouverture vis-à-vis d’eux-mêmes, avec d’ailleurs bien plus de liberté qu’auparavant. Les limites définissant ce que chacun devrait incarner changent très rapidement, et c’est vraiment quelque chose que je trouve très stimulant. Mais en réaction à cela, on observe également des comportements de méfiance. L’histoire nous a malheureusement déjà démontré qu’elle avait une fâcheuse tendance à se répéter et que nous devons être constamment conscients de la nécessité de protéger les droits et la sécurité des personnes qui, par le passé, ont été traitées différemment. C’est d’ailleurs encore le cas dans de nombreux endroits : que ce soit en Belgique, en Russie, en Amérique ou en Chine, c’est un sujet qui reste d’actualité.
Y a-t-il un projet de Forbidden Colours dont vous vous sentez particulièrement proche ?
C’est un peu comme si vous me demandiez de choisir entre mes enfants ! Mais je dois bien admettre que je suis personnellement très touché par le Queer Refugee Committee. Il accueille des personnes qui ont dû fuir leur pays et repartir à zéro. Et cette idée de guérir ensemble, cette idée de trouver une famille à un stade ultérieur de la vie me touche profondément. Venir d’un endroit si hostile à votre égard et cultiver, malgré tout, cette joie et ce désir de vivre… Parvenir à ne pas transformer la violence à laquelle vous avez été exposé en colère, mais en quelque chose qui permet de grandir et de créer de l’art, je trouve que c’est vraiment extraordinaire.
Je pense que la douceur en tant qu’ouverture à tous les possibles est quelque chose de vraiment important à mes yeux. Je suis donc très heureux que Forbidden Colours existe et puisse signifier quelque chose, d’une manière ou d’une autre, pour quelqu’un.
Forbidden Colours
Forbidden Colours est un Fonds hébergé par la FRB depuis 2020. Il soutient des organisations et des projets qui aident les hommes et les femmes LGBTQIA+ à vivre pleinement leur vie, en toute liberté, dans le respect de soi et la dignité.
forbidden-colours.com
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