Récit

Quand la danse s’invite en maison de repos

2025

Danser debout, mais aussi assis, en fauteuil roulant, juste avec les bras, ou simplement en fermant les yeux… Tel est le sens, éminemment inclusif, des ateliers de danse pour personnes âgées organisés par le Groupe santé CHC et le programme ‘Quand on Danse’ de la Mosa Ballet School de Liège. Grâce au soutien du Fonds Houillogne-Hanne, géré par la Fondation Roi Baudouin, ces ateliers profitent déjà aux résidents et résidentes de neuf maisons de repos du grand Liège. En combinant art et santé, et en rendant la danse accessible aux aînés, l’initiative reflète l’engagement de la Fondation à ‘ne laisser personne de côté’, tout en innovant pour promouvoir le bien-être des personnes âgées.

« Je t’aime ! » s’exclame Raymonde*, 86 ans, dans un élan spontané d’affection envers sa voisine Lucie*, 92 ans, toutes deux résidentes de la maison de repos CHC Mativa, à Liège. Autour d’elles, éducatrices, aides-soignantes, ergothérapeutes, logopèdes, kinés et résidents applaudissent, sourire aux lèvres. Il y a quelques minutes encore, leurs visages étaient attentifs, mais inexpressifs, voire fermés. À présent, l’espace d’un long instant, elles se tiennent par la main, les regards plongés l’un dans l’autre. L’émotion collective est palpable.

Pendant près d’une heure, Fanny Liberatoscioli, danseuse professionnelle formée à l’accompagnement des seniors, a animé en musique un atelier ‘Danse’ pour 35 résidents et résidentes, âgés pour la plupart de plus de 80 ans. Les mélodies de Louis Amstrong, Gilbert Bécaud, Sam Cooke et d’autres musiciens chanteurs soigneusement sélectionnés, ont fusé dans la salle de restaurant transformée en salle de danse. Rythmes lancinants ou chaloupés, sonorités africaines ou indiennes ont animé le corps de la danseuse et metteuse en scène liégeoise qui a invité les participants à l’imiter, chacun à sa manière et selon ses capacités.

Des bienfais multiples et mesurables

Nul ne sait au juste quel univers mental a poussé Raymonde à se fendre d’un « Je t’aime » à sa voisine. Plusieurs pensionnaires, ici, souffrent de démence légère ou prononcée. Mais qu’importe, l’essentiel est ailleurs ! Les mots exprimés en disent long sur le registre émotionnel libéré pendant l’atelier. L’espace d’une heure, les résidents et résidentes se sont distraits, amusés, enthousiasmés. Ils ont chantonné et, surtout, ont mobilisé leurs muscles (en prolongation du travail réalisé par les kinés), de même que leurs souvenirs. Le tout, sans avoir l’impression de faire de la gymnastique, ni de participer à un exercice rébarbatif, mais bien portés par la musique et ce corps en mouvement sous leurs yeux. Particularité fondamentale : le personnel soignant, présent en nombre, a été étroitement associé à leurs pas de danse, même esquissés. Manifestement, il n’a pas dû se forcer...

« Les études se multiplient pour démontrer les effets positifs d’activités récréatives – et particulièrement, la danse – sur l’acuité mentale des personnes âgées », souligne Laura Dethier, à l’origine de l’initiative, directrice du programme d’impact sociétal de la Mosa Ballet School. « La danse sollicite à la fois plusieurs fonctions cérébrales : kinesthésique, rationnelle, musicale et émotionnelle. Cela augmente la souplesse, l’équilibre, la mobilité et la plasticité neuronale ». L’objectif est, aussi, de favoriser le bien-être mental et de rompre l’isolement des résidents. Le docteur Rémy, médecin coordinateur de la résidence CHC Heusy, abonde : « J’ai observé plus de sourires, moins de cris et de pleurs, des visages et des corps plus détendus, même quand il n’y a pas de participation active sur le plan physique ».

Autres particularités des ateliers : ils sont facultatifs et ouverts à tous. Nul question de prouesses physiques, ni de participation active. « Même les personnes paralysées peuvent y prendre part », précise Laura Dethier. « On peut aussi danser assis, avec ses yeux, avec son âme… » . Quand c’est possible, les familles et les enfants des écoles voisines sont associés à l’atelier, apportant une dimension intergénérationnelle supplémentaire.

Un modèle à diffuser

Grâce au soutien du Fonds Houillogne-Hanne, géré par la Fondation Roi Baudouin, ces ateliers, jusqu’ici financés sur fonds propres, seront bientôt organisés une fois par mois dans neuf résidences du Groupe santé CHC. La quasi-totalité du soutien servira à rémunérer les cinq danseurs professionnels, formés pour travailler avec des publics (très) âgés, qui animent les ateliers dans les résidences de Liège, Landenne, Banneux, Hermalle, Heusy, Mehagne, Membach et Raccour.

Novatrice en Belgique, l’idée découle du programme d’impact sociétal de la Mosa Ballet School. Dès sa création en 2022, cette école, qui forme chaque année une centaine de danseuses et danseurs professionnels de haut niveau, a voulu marquer son secteur d’une empreinte en alliant excellence, bienveillance et collaboration. Cela passe par l’ouverture à des publics discrets ou oubliés. « La danse n’est pas l’affaire de quelques-uns. Nous voulons l’amener à la société toute entière et plurielle ». De là, le lancement, par cette école, de diverses initiatives de formation ou de sensibilisation sur des thèmes comme ‘Danse et Cancer’, ‘Danse et Maladie de Parkinson’, ‘Danse adaptée et inclusive’, etc.  Chaque automne, la Mosa Ballet School organise un symposium sur ces thématiques. Et, régulièrement, les résidents et résidentes des maisons de repos sont invités à assister gratuitement aux représentations des étudiants danseurs.

L’espoir est évidemment de voir de telles initiatives pilotes se pérenniser et se diffuser bien au-delà de Liège. « La recherche du bien-être des résidents est une évolution qui s’ancre de plus en plus profondément dans les maisons de repos », s’enthousiasme Laura Dethier. « Cela se sent à tous les niveaux, dans tous les secteurs ». Réjouissant, serait-on tenté d’ajouter, à l’heure du vieillissement galopant de la population.

* Prénoms d’emprunt

À propos du Fonds Houillogne-Hanne

Les études démontrent les effets bénéfiques de la danse sur l’acuité mentale des personnes âgées.
Laura Dethier
Mosa Ballet School

Géré par la Fondation Roi Baudouin, le Fonds Houillogne-Hanne vise à améliorer la santé et les conditions de vie de la population vieillissante. S’inspirant de collaborations réussies entre les secteurs de l’art et de la culture d’une part, et des soins de santé d’autre part, le Fonds a lancé en 2024 un premier appel à projets visant à améliorer la santé mentale et physique des personnes âgées, avec un focus particulier sur les projets artistiques. Vingt-six projets pilotes créatifs et inspirants ont bénéficié d’un soutien total de 500.000 euros. Le projet de danse du Groupe santé CHC et de la Mosa Ballet School est l’un des projets bénéficiaires.

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