Le premier Rousseeuw Prize for Statistics, doté d’un montant d’un million de dollars, décerné à James Robins et ses collègues
Des travaux exceptionnels qui ont révolutionné la médecine et la santé publique en permettant de mieux distinguer la cause de la corrélation, ont été récompensés lors d’une cérémonie à la KU Leuven, en présence du roi Philippe. La Fondation Roi Baudouin a décerné pour la première fois le Rousseeuw Prize for Statistics, doté d’un montant d'un million de dollars, à James Robins, de la Harvard University, et à quatre collègues qui ont développé ses recherches.
Institué par Peter Rousseeuw, professeur de statistiques à la KU Leuven, ce prix biannuel récompense des recherches statistiques exceptionnelles qui ont un impact significatif sur la vie quotidienne.
Les découvertes de James Robins et de son équipe en matière d'’inférence causale’ permettent aux statisticiens d’aller au-delà des observations montrant que des phénomènes évoluent de pair – la corrélation – pour indiquer si l’un est responsable de l’autre – la causalité. La moitié du Prix, attribué dans le cadre d'une procédure géré par la Fondation Roi Baudouin, a été attribuée à James Robins. Miguel Hernán (Harvard University), Thomas Richardson (University of Washington), Andrea Rotnitzky (Universidad Torcuato di Tella, Argentine) et Eric Tchetgen Tchetgen (University of Pennsylvania) se partagent l’autre moitié. Ces quatre lauréats ont été formés ou fortement influencés par James Robins, et collaborent encore avec lui.
La crème glacée provoque-t-elle des rougeurs ?
Déterminer les causes et les effets à partir de données peut être beaucoup plus difficile qu’il n’y paraît, en tout cas sans expériences empiriques, car plusieurs facteurs peuvent se conjuguer. À titre d’exemples, prenez les piqûres de méduses et les ventes de glaces. Ces deux données ont tendance à augmenter et à diminuer en parallèle. Mais les piqûres de méduses sont également corrélées au nombre de personnes qui se baignent dans la mer un jour donné, ainsi qu’à la consommation d’énergie utilisée pour la climatisation. L'inférence causale permet de déterminer, à partir des données, que c'est la baignade, et non la climatisation ou les glaces, qui augmente le risque de piqûres de méduses. Ceci n'est qu'une illustration – l'inférence causale pouvant être appliquée à des questions de médecine réellement importantes.
Révolution dans les statistiques
Les travaux des lauréats ont apporté de nouvelles connaissances et méthodes statistiques pour répondre à d’importantes questions épidémiologiques. Par exemple, quel est l’effet à long terme d’un traitement médical donné ? Et, s’il est bénéfique, quelles sont les meilleures stratégies de traitement ? Les travaux des lauréats ont ainsi permis d’élaborer des lignes directrices pour déterminer le meilleur moment auquel entamer un traitement antiviral chez les personnes porteuses du VIH.
Robins a démontré qu'il est encore plus difficile d'interpréter les données sur les expositions ou les traitements sur une plus longue période. Cela est dû à des mécanismes de rétroaction. Ainsi, les patients séropositifs qui commencent un traitement antiviral sont en moyenne davantage malades que ceux qui n'ont pas encore commencé ce traitement. Ne pas tenir compte de ce facteur pourrait amener à déduire que le traitement est nocif. Imaginez que le traitement antiviral augmente l'immunité de certains patients, mais que ces patients reçoivent ensuite un traitement différent. Cela entraîne un problème de rétroaction dans les données, rendant plus difficile de tirer des conclusions correctes. Robins a résolu ce problème méthodologique dans un certain nombre d'articles scientifiques innovants parus dans les années 1980. Il a ainsi jeté les fondements des innovations réalisées plus tard par les autres lauréats, ce qui a engendré une révolution causale dans les statistiques.
Un impact allant de l’épidémiologie à l’économie
Les travaux des lauréats ont aussi influencé l’économie, la psychologie et d’autres domaines. Dans de nombreux cas importants, ils ont permis de démontrer que les disparités entre les conclusions tirées d’études empiriques et non empiriques résultaient de l’utilisation de méthodes statistiques dépassées. Parmi les domaines dans lesquels cet impact a été significatif, citons la compréhension des effets de la thérapie hormonale après la ménopause sur les maladies cardio-vasculaires, l’effet des traitements à base de statines sur le cancer et les bénéfices des anti-inflammatoires sur les patients atteints de COVID-19.
Les travaux couronnés par le Rousseeuw Prize for Statistics ont révolutionné la manière dont les statisticiens, les épidémiologistes et d’autres évaluent les effets d’interventions, de traitements et d’expositions à des substances potentiellement nocives. Ils ont considérablement augmenté la fiabilité globale de l’analyse causale en médecine et en santé publique, au bénéfice de l’ensemble de la société.
Déconstruire les hypothèses
Pour Peter Rousseeuw, qui a institué le Prix afin de contribuer à ce que les statistiques attirent les talents et les financements au même titre que les Prix Nobel dans d’autres disciplines, les premiers lauréats ont déconstruit les vieilles hypothèses selon lesquelles il est impossible de déterminer la relation de causalité sans recourir à des expériences empiriques.
“Ils ont prouvé que c’est possible et ont appliqué leurs techniques innovantes à des questions importantes, comme les effets de la thérapie hormonale après la ménopause sur les maladies cardio-vasculaires et les effets des traitements à base de statines sur le cancer. Des tests cliniques ont ensuite confirmé leurs résultats” déclare Peter Rousseeuw. “Leurs travaux peuvent aussi être utilisés dans la lutte contre les épidémies et en santé publique, par exemple pour décider s’il faut éviter ou interdire certaines substances environnementales."