Une personne sans-abri ou sans chez-soi sur trois souffre de problèmes de santé mentale
De 2020 à 2023, à l’initiative de la Fondation Roi Baudouin, les équipes de recherche UCLouvain CIRTES et LUCAS KU Leuven ont réalisé des dénombrements des personnes sans-abri et sans chez-soi dans 24 villes et régions en Wallonie et en Flandre, couvrant 227 des 581 communes belges. Une nouvelle étude, basée sur les données de ces dénombrements, révèle les liens existants entre les problématiques de sans-abrisme et d’absence de chez-soi, de santé mentale et d’assuétudes. Elle appelle également à mettre en place des collaboration structurelles entre les secteurs de l’aide sociale, de la santé mentale et du logement, afin d’améliorer la prise en charge de ces personnes.
Organisés fin 2020, 2021, 2022 et 2023, les dénombrements réalisés avec le soutien des régions concernées et de la Fondation Roi Baudouin ont permis de collecter des données sur l'ampleur du phénomène et sur le profil des personnes sans-abri et sans chez-soi. De telles données sont en effet essentielles pour élaborer une politique efficace de lutte contre la problématique.
Ces dénombrements ont pu voir le jour grâce à la collaboration des autorités locales et des nombreuses organisations qui viennent en aide aux personnes sans-abri ou sans chez-soi (CPAS, Relais sociaux…) et des services susceptibles d’entrer en contact avec celles-ci (services de proximité, institutions psychiatriques, maisons médicales, police…). Ces organisations ont participé aux dénombrements en remplissant un questionnaire portant notamment sur le lieu où la personne a passé la nuit précédente, les causes de la perte du logement, la nationalité, le revenu, la composition du ménage, ainsi que la santé de la personne.
Santé mentale et assuétudes
L’étude se concentre spécifiquement sur les problèmes de santé mentale et d’assuétudes chez les personnes sans-abri et sans chez-soi. Dans la majorité des cas, les problèmes de santé sont présumés car basés sur l'estimation des collaborateurs qui ont rempli les questionnaires.
Parmi les 17.018 adultes sans-abri et sans chez-soi dénombrés, 30,1 % souffrent de problèmes de santé mentale et 28,8 %, de problèmes d’assuétudes. Plus précisément, 14,4 % de l’ensemble des adultes dénombrés sont confrontés à la fois à des problèmes de santé mentale et de dépendance. Ces problématiques sont particulièrement présentes chez les personnes vivant dans la rue : plus de 60 % souffrent de problèmes de santé mentale ou de dépendance. Notons toutefois qu’un tiers des adultes dénombrés ne présentent aucune de ces problématiques.
Caractéristiques de profil
Parmi les personnes sans-abri et sans chez-soi dénombrées, les problèmes de santé mentale et/ou de dépendance sont plus fréquents chez :
- les hommes (56 %, contre 47 % chez les femmes) ;
- les personnes de nationalité belge ou issues d’un pays UE (il est toutefois probable que la situation des personnes originaires de pays non EU soit sous-estimée) ;
- les personnes ayant un passé dans une institution (aide à la jeunesse, psychiatrie, prison) ;
- les personnes menacées d’expulsion de leur logement (plus de 30 % souffrent de problèmes de santé mentale et/ou d’assuétude).
En outre, plus la période de sans-abrisme est longue, plus le risque de développer des problèmes de santé mentale augmente, ce qui souligne l'importance de la prévention.
Mise sous pression
La plupart des centres d’accueil de nuit n’acceptent pas les personnes en état d’ébriété, ce qui constitue un obstacle d’accès supplémentaire pour ces personnes. De plus, en cas de consommation de drogues, l’orientation vers des structures de santé spécialisées s’avère difficile, ce qui accroît la pression sur les centres d’accueil. Malgré la difficulté d’accès aux structures d’hébergement de nuit, plus de 50 % des personnes séjournant dans ces structures souffrent de problèmes de santé mentale et/ou de dépendance, exerçant une pression considérable sur les conditions de travail des équipes de ces structures et sur les autres personnes hébergées. L’étude indique en outre que plus de 30 % des personnes résidant temporairement chez des membres de leur famille ou des amis souffrent de problèmes de santé mentale et/ou d’assuétudes. Cette situation met en évidence la pression exercée non seulement sur le secteur du sans-abrisme, mais aussi sur le réseau dit ‘informel’.
Collaborations intersectorielles
L’une des pistes avancées par l’étude pour améliorer la prise en charge des personnes sans-abri et sans chez-soi qui souffrent de problèmes de santé mentale et/ou d’assuétudes consiste à mettre en place des collaborations intensives entre différents secteurs et services. Des collaborations structurelles sont ainsi nécessaires entre les services de santé mentale, les services d’aide sociale et les acteurs du logement, afin de mieux orienter les personnes et leur proposer des soins et un accompagnement adéquats. Mais cela ne peut fonctionner que s’il existe une sécurité de logement. Sans un toit au-dessus de la tête, il est presque impossible de s’attaquer aux problèmes sous-jacents. En Belgique aussi, Housing First a prouvé son efficacité pour s’attaquer à la racine du problème du sans-abrisme et de l’absence de chez-soi. Toutefois, l’approche Housing First ne peut fonctionner que s’il y a suffisamment de logements disponibles pour ces personnes vulnérables.
La prévention du sans-abrisme et de l’absence de chez-soi chez les personnes sortant d’institutions requiert également une approche spécifique. Des programmes d’aide communs basés sur la collaboration entre des institutions (comme les services de psychiatrie et d’aide à la jeunesse), des services de première ligne (tels que les CPAS) et des acteurs du logement sont nécessaires afin de préparer soigneusement le départ de ces personnes et leur offrir un accompagnement adéquat dans les premiers mois suivant leur sortie.
Appel à projets
Désireuse d’apporter sa contribution à cette problématique, la Fondation Roi Baudouin lance, en collaboration avec le Fonds Dr. Daniël De Coninck, un appel à projets aux services de première ligne travaillant avec des personnes sans-abri ou sans chez-soi souffrant de problèmes de santé mentale et/ou d’assuétudes, qui souhaitent mettre en place des collaborations intersectorielles entre les secteurs du logement, de l'itinérance et/ou de la santé mentale et des assuétudes. L’appel soutiendra des projets visant à prévenir la perte de logement et/ou à offrir des soins aux bénéficiaires de manière non discriminatoire et accessible.
Plus d’infos sur l’appel à projets : https://kbs-frb.be/fr/soutenir-les-services-de-1ere-ligne-travaillant-avec-des-usagers-cumulant-mal-logement-et-problemes