Un regard plus affûté, une parole libérée
Les ateliers d’éducation aux médias organisés par l’asbl ADIF Infor-Femmes, avec le soutien du Fonds Papillon, géré par la Fondation Roi Baudouin, rassemblent des femmes issues de tous les horizons. On y visionne des films, on écoute des reportages radiophoniques, et puis on débat. Objectif affiché : renforcer l’émancipation des femmes pour leur permettre de prendre une place active dans la société.
La pièce fleure bon la cardamone. Sur la table, devant l’écran de projection, un appétissant plateau de douceurs exotiques trône en bonne place. Chacune des dix participantes de l’atelier d’éducation aux médias a apporté un mets à partager, histoire de célébrer comme il se doit la fin de la première étape d’un processus entamé en septembre dernier. Chaque jeudi matin depuis près de cinq mois, elles se sont retrouvées dans les locaux de l’asbl à Anderlecht, en plein cœur du quartier de Cureghem, pour visionner des films, en discuter, et puis voter en faveur des quatre œuvres qu’elles ont décidé de présenter pour le festival des réalités sociales ‘Coupe-Circuit’.
Des heures de discussions, de débats parfois vifs – "mais toujours respectueux", souligne Stéphanie Demeestère, professeure de français langue étrangère (FLE) chez ADIF Infor-Femmes, et co-animatrice, avec Éléonora (de l’asbl partenaire Gsara), des ateliers d’éducation aux médias. "On est toutes différentes : on vient de pays différents, on a des âges différents, certaines ont des enfants, d’autres pas, on est de religions différentes. Donc, c’est normal, on ne pense pas nécessairement de la même manière", entame Fatiha (44 ans), arrivée voici cinq ans en Belgique de son Maroc natal. "Parfois, on peut être en désaccord avec le sujet de fond abordé dans un film, mais être quand même touchée par le ‘héros’ du film. Moi j’ai été fort sensible au parcours de David, le personnage principal d’Après le silence [un film de Soman Larcin]. Pourtant, David est homosexuel – c’est pour cela qu’il a dû fuir son pays. Je ne suis pas en faveur de l’homosexualité, mais une part de moi ressemble quand même à David, et c’est ça qui m’a touché : au début, il n’ose pas témoigner de son histoire, parler de lui, c’est difficile. Et puis, au fur et à mesure, quand il est en confiance, il se dévoile un peu plus, et cela lui fait du bien. Je suis moi-même très timide, j’ai peur de parler, d’aller vers l’extérieur. Mais ici, à l’atelier, ça va : j’ose parler, donner mon point de vue, je suis devenue moins renfermée".
"Ma vie a changé !"
C’est bien une des particularités du projet ‘Gardons l’œil ouvert’ : impliquer les femmes. "Depuis trois ans, nous proposons à nos apprenantes en FLE un atelier créatif d'expression qui favorise le développement d’une citoyenneté responsable et active", explique Stéphanie Demeestère. "Avec ce projet, mêlant cycle d'éducation aux médias et d'analyse critique de l'actualité, sorties culturelles, rencontres de professionnels de l'image, expérimentation de techniques audiovisuelles, les participantes sont amenées à développer un regard critique sur le monde qui les entoure, pour pouvoir ensuite sensibiliser leur entourage". "Moi, c’est Ousmane [un film de Badia Koujane] qui m’a touchée", intervient Azmat (68 ans), d’origine pakistanaise. "Il a quitté le Sénégal en pensant trouver ici une vie meilleure, mais ce n’est pas vraiment ça qui se passe : son histoire est très dure". Arrivée en Belgique avec son mari il y a 43 ans, et avec six enfants à élever, Azmat a toujours eu des journées bien remplies. "On me demande parfois comment cela se fait qu’après tant d’années passées en Belgique, je ne parle toujours pas bien le français. Eh bien c’est simple : je me suis consacrée à ma famille. Maintenant, je suis libre : mes enfants sont tous grands, et ils me disent ‘‘Allez maman, vis ta vie maintenant !’’. Cette liberté recouvrée, Azmat entend bien en profiter : ces ateliers d’éducation aux médias, elle les vit à fond. "J’ai des choses à dire, je les dis. Je participe à tout, j’ai même interviewé des réalisateurs des films qu’on a visionnés : le micro, maintenant, ça me connaît !". Ces ateliers ont eu, pour elle, des répercussions inattendues : "Avant, tout me stressait. Maintenant, je ne crains plus d’aller à la commune, chez le docteur, ou ailleurs, toute seule : j’ai acquis suffisamment de vocabulaire pour pouvoir me faire comprendre. Ma vie a changé !".
Ces femmes en témoignent : leur regard sur les films, sur l’actualité, sur tout ce qu’on peut voir à la télé, a évolué. "Maintenant, je remarque des choses que je ne voyais pas avant", dit Azmat. Quand j’aime ou pas quelque chose, j’ai des arguments. Il y a moyen de parler de différentes façons d’un même sujet. C’est passionnant". Autant de connaissances qu’elles se réjouissent de partager avec leurs proches : "C’est gai de pouvoir discuter avec son mari, ses enfants et ses petits-enfants !".
Un blog pour faire connaître notre quotidien
Le point culminant de ce parcours a eu lieu il y a peu : l’équipe d’ADIF Infor-Femmes s’est rendue à Charleroi, pour une journée d’échanges avec les trois autres comités de sélection du festival ‘Coupe-Circuit’. Ces femmes – qui, pour la plupart, sortent rarement d’Anderlecht – sont allées défendre leur sélection et écouter les arguments des autres comités. Le jury final choisira, dans quelques semaines, les œuvres qui remporteront les prix de la compétition.
L’équipe se prépare maintenant à un nouveau projet, qui s’inscrit dans la continuité du travail déjà réalisé : la publication d’un blog. "Je me réjouis que l’on puisse aussi parler de choses plus légères, comme la beauté ou la cuisine !" sourit Fatiha. Au programme, pour commencer, une incursion dans le monde de la photo, avec une intervenante photographe. "On va pouvoir mêler différents médias - la photo, le texte écrit, du son - pour faire savoir à l’extérieur qui nous sommes, ce que nous faisons, et toute la créativité dont nous sommes capables", s’enthousiasme Stéphanie Demeestère.
À propos du Fonds Papillon
Géré par la Fondation Roi Baudouin, le Fonds Papillon a pour mission de soutenir des organisations en Région de Bruxelles-Capitale, qui favorisent l’accès des femmes – particulièrement celles issues de l’immigration – à des activités sociales et culturelles. Depuis sa création en 2014, le Fonds a soutenu 34 projets pour un total de 232.640 euros.