La passion des livres anciens
Donner une nouvelle vie aux livres anciens : un métier devenu rare, exigeant des compétences multiples. Une véritable passion pour certain.e.s. Encore faut-il pouvoir se former à la hauteur de ses ambitions. Alexandre Rosman y est arrivé grâce au soutien de la Plateforme pour l’Éducation et le Talent, créée par les descendants de Gustave Boël et par la Sofina, et gérée en collaboration avec la Fondation Roi Baudouin.
"La première fois qu’on réalise quelque chose de ses propres mains, on trébuche nécessairement ! Mais trébucher, c’est apprendre." Lorsqu’il fait visiter son atelier, Alexandre Rosman a le sens des formules qui font mouche. Et qui, surtout, ont du sens pour cet éternel perfectionniste qui, depuis dix ans, ne cesse de se former au métier d’artisan du livre. Au vu de ce qui compose son lieu de travail quotidien, un atelier situé à deux pas de la Meuse à Dave (province de Namur), on se dit pourtant que le jeune homme de 32 ans a toute la ‘bouteille’ nécessaire pour pratiquer ses passions avec fruit : la reliure et la dorure, mais aussi la restauration d’ouvrages anciens.
À gauche, le matériel fin : pinceaux, ciseaux, scalpels et plioirs (pour marquer les plis). De quoi couper, gratter et coller bien des matières, et même les coudre et les masser. "Le livre est un objet très charnel, voire sensuel. Voyez le vocabulaire utilisé pour le décrire : la tête, le dos, la queue, etc." À droite, des outils bien plus imposants : presses, rogneuses, machines à coudre, etc. "Quasiment tout ce qui se trouve ici fonctionne sans électricité", commente le Namurois qui, poursuivant sa visite, dévoile derrière un rideau les véritables trésors du lieu : des micro-feuilles d’or ; des parchemins et du papier authentiques des XVII et XVIIIème siècles ; des cuirs de chèvre, de veau, de porc et de… loup de mer. Sans oublier l’armoire à pigments et des tissus africains bariolés. Eh oui, il faut de tout pour faire des livres ! Ou, plutôt, pour leur offrir une deuxième vie…
Une vocation progressive
Dès son adolescence, Alexandre Rosman admire les meubles anciens abritant les bibliothèques bien fournies. À la fin de ses humanités, il se lance dans une candidature en histoire à l’Université de Namur, puis s’inscrit à des cours d’antiquaire, fréquente les salons pour artisans et travaille dans une salle de vente. "Plus que l’histoire des hommes, j’adorais - et j’adore encore - celle des objets : ce sont eux qui traduisent le mieux comment les gens vivaient autrefois."
À l’âge de 22 ans, il s’inscrit pour quatre ans aux Arts et Métiers, à Bruxelles, pour se former à la reliure et à la dorure. Mais, comme l’écrasante majorité des étudiant.e.s de cette matière (des passionné.e.s de tous les âges), il n’envisage pas d’en faire sa profession exclusive. Trop incertain. "Relier un livre ancien exige en moyenne 80 opérations différentes, soit au moins 10 à 20 heures de travail strictement manuel, auquel vous devez ajouter le temps d’intervention des machines. Les gens adorent l’artisanat et le concept est à la mode mais, lorsqu’on leur présente un devis, la plupart tournent rapidement le dos. Tout ce que je souhaite, c’est de vivre décemment de mon métier, pratiquer ma passion sans la crainte constante de trébucher. Et, surtout, de ne jamais rogner sur la qualité sous le prétexte de ne pas rentrer dans mes frais. Garder le plaisir de bien faire. Viser l’excellence."
Trois p’tits tours à… Tours
En 2017, c’est le déclic. Employé à mi-temps à la Bibliothèque Moretus Plantin de l’Université de Namur et soutenu par d’anciens profs des Arts et Métiers, il se décide à franchir une nouvelle étape : se former à la restauration d’ouvrages. La seule école lui permettant de continuer à exercer son métier de relieur/doreur se trouve à Tours, entre Nantes et Paris : le Centre de Formation et de Restauration du Patrimoine Écrit (CFRPE), labellisé Entreprise du Patrimoine Vivant (EPV). Noble intention, mais la facture de cette école privée, éloignée de son domicile namurois, s’annonce salée : quelque 35.000 euros étalés sur trois ans à raison d’une semaine de cours par mois.
Archéologie et déontologie
Alexandre sollicite la Plateforme pour l’Éducation et le Talent, créée par la Sofina et les descendants de Gustave Boël afin de soutenir l’émergence et le renforcement des jeunes talents. L’un des axes de la Plateforme consiste à accorder des bourses aux jeunes artisans de talent se formant aux métiers du patrimoine. Pour soutenir Alexandre, celle-ci débloque trois fois 10.000 euros, de quoi voir venir pour ses trois années de formation. "Le CFRPE m’a d’abord éveillé à la notion d’archéologie du livre : les matières utilisées pour le fabriquer, les différents types de dégradation (des taches de café jusqu’aux champignons en passant par les chutes), etc. Elle m’a aussi appris à pousser très loin les techniques d’intervention, en faisant confiance à mes yeux et à mes mains. Ce n’est pas rien ! Parfois, l’observation du restaurateur est bien plus importante que le recours au microscope ou au mesureur d’acidité. Enfin, j’y ai appris la déontologie de la restauration : chaque livre étant unique, il faut avoir recours aux techniques et aux matériaux les plus appropriés pour stopper sa dégradation sans trahir pour autant son atmosphère ni l’esprit à l’époque de fabrication. Pour cela, les connaissances techniques et historiques sont précieuses."
En juin, Alexandre aura terminé sa formation, nourri du leitmotiv enseigné à Tours : chaque livre restauré doit être fonctionnel mais aussi beau à regarder, esthétique. Fabriqués du XVème au XXème siècle, tous les livres peuvent dorénavant passer entre ses mains. "Je sens une puissance artistique germer en moi. Mais je resterai toujours vigilant : un seul faux pas peut laisser une trace visible pendant cent ou deux cents ans." (Re)donner vie a toujours été vertigineux.
Vous êtes artisan actif en Belgique dans les métiers du patrimoine ? Vous avez entre 20 et 45 ans et vous souhaitez vous perfectionner dans votre discipline ? Vous pouvez solliciter une bourse de la Plateforme pour l’Éducation et le Talent. Introduisez votre candidature jusqu’au 26 août 2021.
À propos de la Plateforme pour l’Éducation et le Talent
Créée en 2011 par les descendants de Gustave Boël et par le holding Sofina, et gérée en collaboration avec la Fondation Roi Baudouin, la Plateforme pour l’Éducation et le Talent a pour objectif de soutenir l’éducation et la formation de talents en Belgique. Les activités de la Plateforme s’articulent autour de trois axes : octroi de bourses et accompagnement de jeunes artisans de talent dans les métiers du patrimoine, octroi de bourses et accompagnement de jeunes universitaires qui veulent parfaire leur formation auprès d’une université étrangère de renom, aide à la réussite pour des élèves talentueux issus de milieux sociaux précaires à Liège et à Anvers. Entre 2013 et 2020, 138 bourses ont été décernées pour un montant total de 1.952.510 euros.
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