Récit

Dans le feu de l’action

À partir de résidus de bougies et de palettes de bois, des personnes avec autisme fabriquent de A à Z des allume-feux écologiques destinés à la commercialisation. Objectif : valoriser leurs compétences, trop souvent méconnues de la société. Reportage au cœur de ce projet, soutenu par le Fonds ICT Community for ASD, géré par la Fondation Roi Baudouin.

Nous les appellerons Olivia, Alexandre, Karima. Chaque matin, accompagnés le plus souvent par leurs parents, ces jeunes adultes franchissent le portail de l’ancienne caserne de Saive (Blegny, province de Liège), occupée aujourd’hui par des dizaines de PME et d’associations. Leurs pas les guident au premier étage, à l’Atelier Ardent, un Service d’Accueil de Jour pour personnes adultes avec autisme, agréé par l’Agence wallonne pour une vie de qualité. Encadrés par trois éducateurs, ils viennent y cultiver des légumes, fabriquer des tawashis (éponges à base de matériaux recyclés), confectionner des produits d’entretien écologiques, apprendre à rouler à vélo, participer à des ateliers de sport...

Le moindre détail, le moindre aménagement dans les locaux de la Fondation SUSA (Service Universitaire Spécialisé pour personnes avec Autisme) respire la clarté, la précision et surtout la prévisibilité : depuis le tableau affichant le planning des activités de la journée avec des pictogrammes, jusqu’aux bacs de couleur destinés au rangement du matériel. "Les personnes avec autisme ont des compétences extrêmement variées", commente Françoise Colleye, directrice de l’antenne liégeoise de la Fondation SUSA (1), "mais elles n’arrivent à les mettre à profit que si elles comprennent parfaitement les tâches à réaliser, ce qui passe par leur structuration minutieuse. Le point commun de tous nos bénéficiaires est que rien dans leur journée ne doit être laissé au hasard".

Un parcours chaotique

Ce matin-là, un petit parfum de répétition générale plane sur les éducateurs et les bénéficiaires du service. L’immense cour de la caserne abrite un auvent qui, cet été, permettra la vente de k-lumets, des allume-feux écologiques préparés par les bénéficiaires. Ronald, 28 ans, vient de terminer la mise au point d’un tableau Excel qui synthétisera la gestion des stocks, des commandes et des ventes de ces bâtonnets cerclés dans des bouts de carton provenant de rouleaux toilettes et enrobés de paraffine récupérée dans des bougies.

"À part un profil un peu rêveur, j’ai eu un parcours scolaire assez classique jusqu’à mes secondaires", résume-t-il dans un phrasé impeccable. "C’est là que ça a commencé à se dégrader : moqueries, harcèlements, provocations… Mes regards fixes, mon besoin de toucher les gens et d’autres particularités comportementales gênaient mes condisciples." À 18 ans, après avoir réussi sa rhéto scientifique, il s’inscrit à l’université en biologie, puis dans deux baccalauréats scientifiques. Ce sont ses échecs successifs, mais surtout ses difficultés sociales, qui l’amènent à consulter un service spécialisé qui ne diagnostiquera sa forme d’autisme qu’à l’âge de 22 ans. "Comprendre la physique quantique, ça va… Mais les codes sociaux, je n’y arrive pas. Le moindre imprévu et je suis envahi par le stress au point de perdre tous mes moyens. C’est comme si on me demandait de fonctionner avec une boîte automatique alors que je n’ai qu’une boîte manuelle à ma disposition. Bien sûr, je peux imiter les autres, mais je reste en permanence susceptible de commettre une erreur. L’accès à l’emploi m’est totalement fermé car je suis incapable de me comporter convenablement à un entretien d’embauche. Ma minutie extrême, mon sens du détail n’intéressent personne." Dans le dos du jeune homme, un éducateur nuance : "Pour le moment, Ronald… Pour le moment…".

Activité minutieuse

À proximité, dans un local de l’ancienne caserne, Olivia, Alexandre et Karima s’activent à la fabrication des k-lumet sous l’œil vigilant de leurs éducateurs. Chacun est rivé à son poste et travaille à son propre rythme : fente des morceaux de bois récupérés sur les palettes, vérification de leur calibre, découpage des rouleaux de carton en quatre lanières, insertion des bâtonnets, enrobage de paraffine, insertion de la mèche d’allumage, etc. "Ce genre de tâches répétitives très minutieuses est l’une de celles qui répondent le mieux à leurs aptitudes et permettent d’apaiser leurs angoisses", explique Françoise Colleye. "Elles ne sont possibles que grâce à des machines spécifiques adaptées aux capacités de nos bénéficiaires. Sans l’aide du Fonds ICT Community for ASD, nous aurions eu des difficultés à financer leur achat, d’un montant de 7.350 euros."

Aucune des étapes de la fabrication des k-lumets ne peut être omise. Après vérification visuelle d’un bâtonnet, Olivia lance un puissant "OK ?" à la cantonade, cherchant du regard l’approbation de son éducatrice, tandis que Karima reste parfois silencieusement prostrée de longues secondes entre chaque tâche, le regard dans le vide. "Le seul principe qui nous guide est celui du bien-être de nos bénéficiaires, en aucun cas la productivité, commente l’éducateur. Nous devons être attentifs au moindre petit signe : un cri, un grommellement, un geste peuvent traduire leur état émotionnel. Leurs profils sont très variés : certains savent lire et parler, d’autres n’émettent que des sons. Certains sont autonomes dans les activités quotidiennes, d’autres pas."

"Outre leur aspect écologique, l’intérêt des k-lumets est qu’ils font le pont entre deux types de profils chers à la Fondation SUSA : d’une part les bénéficiaires qui ont des compétences intellectuelles classiques et un bon niveau d’autonomie – en dépit de difficultés de communication, cet atelier leur permet de sortir de leur isolement ; d’autre part, ceux qui ont de grosses difficultés cognitives et nécessitent un accompagnement rapproché permanent", précise encore Françoise Colleye. "De plus, la fabrication de ces allume-feux est une activité à caractère professionnel conçue avec eux de A à Z depuis la recherche des matières premières jusqu’au contact avec les acheteurs. Elle fait sens à leurs yeux et, bientôt, générera un petit revenu qui pourra être réinvesti dans d’autres activités. On n’est plus, ici, dans la répétition d’activités pratiquées depuis leur enfance. Enfin, cerise sur le gâteau, l’atelier k-lumet se pratique sur un site où les interactions sociales sont nombreuses avec une kyrielle d’autres organisations menant des activités inclusives." Retardée notamment par la crise du Covid-19, la vente des allume-feux débutera en août prochain.

(1) La Fondation Susa développe aussi ses activités à Mons, Bruxelles et Gembloux. L’antenne montoise commercialise déjà des k-lumets. Plus d’infos sur www.susa.be

"Les tâches répétitives, très minutieuses, requises pour la fabrication des k-lumets correspondent aux aptitudes de nos bénéficiaires."
Françoise Colleye
Directrice de l’antenne liégeoise de la Fondation SUSA

Votre organisation a elle aussi un projet pour favoriser l’inclusion sociale des personnes avec autisme ? Elle peut bénéficier d’un soutien du Fonds ICT Community for ASD. Introduisez votre candidature pour le 7 octobre 2021. Plus d’infos.

À propos du Fonds ICT Community for ASD

Géré par la Fondation Roi Baudouin, le Fonds ICT Community for ASD soutient des projets en Belgique qui renforcent l’inclusion des personnes avec un trouble du spectre de l’autisme et ce, dans tous les aspects de la vie en société. Depuis 2012, le Fonds a déjà soutenu 58 projets pour un montant total de 432.297 euros.

www.ictforasd.be

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